dimanche 3 novembre 2013

Les femmes et la guerre en Grèce antique (2)


Les femmes spartiates[1]

La situation des femmes à Sparte a alimenté nombres de controverses. Notamment celle de savoir si elles participaient au combat. Les auteurs antiques déjà ne sont pas tout à fait d’accord entre eux.
Plutarque décrit l’entrainement physique auquel elles étaient astreintes :


 ἀλλὰ καὶ : τούτων τὴν ἐνδεχομένην ἐπιμέλειαν ἐποιήσατο. (3) τὰ μέν γε σώματα τῶν παρθένων δρόμοις καὶ πάλαις καὶ βολαῖς δίσκων καὶ ἀκοντίων διεπόνησεν, ὡς ἥ τε τῶν γεννωμένων ῥίζωσις ἰσχυρὰν ἐν ἰσχυροῖς σώμασιν ἀρχὴν λαβοῦσα βλαστάνοι βέλτιον, αὐταί τε μετὰ ῥώμης τοὺς τόκους ὑπομένουσαι καλῶς ἅμα καὶ ῥᾳδίως ἀγωνίζοιντο πρὸς τὰς ὠδῖνας.

« Cependant Lycurgue porta toute l’attention possible à l’éducation des femmes. (3) En tout cas, il fortifia le corps des jeunes filles par des courses, des luttes, le jet de disques et de javelots. Ainsi leurs rejetons à venir, prenant racine en un terrain robuste et robustes eux-mêmes, arriveraient mieux à maturité; quant aux mères, supportant leurs couches avec vigueur, elles opposeraient aisément leur force aux douleurs de l’enfantement. »
(Plutarque, Vie parallèles, Vie de Lycurgue, 14, 3)



Mais selon Platon cet entrainement n’était pas destiné à faire de ces femmes des guerrières :

ἢ τὸ τούτων δὴ διὰ μέσου φῶμεν, ὦ Μέγιλλε, (806a) τὸ Λακωνικόν; κόρας μὲν γυμνασίων μετόχους οὔσας ἅμα καὶ μουσικῆς ζῆν δεῖν, γυναῖκας δὲ ἀργοὺς μὲν ταλασίας, ἀσκητικὸν δέ τινα βίον καὶ οὐδαμῶς φαῦλον οὐδ' εὐτελῆ διαπλέκειν, θεραπείας δὲ καὶ ταμιείας αὖ καὶ παιδοτροφίας


εἴς τι μέσον ἀφικνεῖσθαι, τῶν δ' εἰς τὸν πόλεμον μὴ κοινωνούσας, ὥστε οὐδ' εἴ τίς ποτε διαμάχεσθαι περὶ πόλεώς τε καὶ παίδων ἀναγκαία τύχη γίγνοιτο, οὔτ' ἂν τόξων, ὥς τινες (806b) Ἀμαζόνες, οὔτ' ἄλλης κοινωνῆσαί ποτε βολῆς μετὰ τέχνης δυνάμεναι, οὐδὲ ἀσπίδα καὶ δόρυ λαβοῦσαι μιμήσασθαι τὴν θεόν, ὡς πορθουμένης αὐταῖς τῆς πατρίδος γενναίως ἀντιστάσας, φόβον γε, εἰ μηδὲν μεῖζον, πολεμίοισι δύνασθαι παρασχεῖν ἐν τάξει τινὶ κατοφθείσας; Σαυρομάτιδας δὲ οὐδ' ἂν τὸ παράπαν τολμήσειαν μιμήσασθαι τοῦτον τὸν τρόπον διαβιοῦσαι, παρὰ γυναῖκας δὲ αὐτὰς ἄνδρες ἂν αἱ ἐκείνων (806c) γυναῖκες φανεῖεν.

« [7,806] Ou bien prendrons-nous, Mégillos, le milieu entre ces deux extrêmes, comme à Lacédémone, où les jeunes filles doivent prendre part aux exercices de gymnastique et de musique, où les femmes, déchargées du travail de la laine, n'en mènent pas moins une vie active, qui n'est ni vile ni vulgaire ? car elles s'occupent avec les hommes des soins de l'administration domestique et de l'éducation des enfants, mais sans prendre part aux exercices de la guerre, en sorte que, s'il fallait un jour combattre pour leur patrie et pour leurs enfants, elles ne sauraient, comme les amazones, lancer des flèches ou d'autres traits avec adresse, ni prendre le bouclier et la lance, à l'exemple de Pallas, s'opposer généreusement au ravage de leur patrie, et pouvoir tout au moins faire peur à l'ennemi, en se montrant en bon ordre. Il est clair qu'en menant ce genre de vie, elles n'oseront même pas imiter les femmes des Sauromates, qui, comparées à des femmes ordinaires, pourraient passer pour des hommes. »
(Platon, Lois, 806)

Aristote va même au delà et montre les femmes comme contre-productives au combat:

Ἐδήλωσαν δ' ἐπὶ τῆς τῶν Θηβαίων ἐμβολῆς· χρήσιμοι μὲν γὰρ οὐδὲν ἦσαν, ὥσπερ ἐν ἑτέραις πόλεσιν, θόρυβον δὲ παρεῖχον πλείω τῶν πολεμίων.

« L'invasion thébaine (de 369) l'a bien montré ; inutiles comme partout ailleurs, elles {les femmes spartiates} causèrent dans la cité plus de désordre que les ennemis eux-mêmes. »
(Aristote, Politique, II, 1269 b, §7)

Plutarque reprenant la description de Xénophon (Helléniques, VI, 5, 28) rajoute :

οὐχ ἧττον δὲ τούτων ἐλύπουν τὸν ᾿Αγησίλαον οἱ κατὰ τὴν πόλιν θόρυβοι καὶ κραυγαὶ καὶ διαδρομαὶ τῶν τε πρεσβυτέρων δυσανασχετούντων τὰ γινόμενα καὶ τῶν γυναικῶν οὐ δυναμένων ἡσυχάζειν, ἀλλὰ παντάπασιν ἐκφρόνων οὐσῶν πρός τε τὴν κραυγὴν καὶ τὸ πῦρ τῶν πολεμίων.

« Agésilas n'était pas moins contrarié de l'agitation de la ville: désordres, clameurs, courses folles. Les hommes d'âge déploraient ce qui se passait; et les femmes, incapables de se tenir tranquilles, étaient absolument affolées par les cris de l'ennemi et les incendies qu'il allumait. »
(Plutarque, Vies parallèles, Vie d’Agésilas, 31, 5)

Ainsi, la légende selon laquelle les femmes spartiates auraient participés aux activités militaires de la cité n’a pas de fondements historiques. Elle fait partie des nombreux mythes entretenus par une certaine historiographie de Sparte. 

L’enfantement


Un rôle qui était de première importance à l’époque est celui de l’enfantement et donc de la « fourniture » en guerrier de la cité. Cette fonction des femmes comme pourvoyeuse de guerriers était hautement reconnue et estimée dans l’Antiquité. On connaît en effet les souffrances et les risques qu’occasionnait (et qu’occasionnent toujours) l’enfantement. Cet acte est souvent décrit comme le pendant féminin du combat armé. Il est assimilé en tant que tel dans les textes. C’est par cette action que les femmes font preuves de courage (andreia courage masculin de par son étymologie même).
D’ailleurs à Sparte, en dehors des hommes morts au combat, seules les femmes mortes en couche avaient droit à une sépulture :

ἐπιγράψαι δὲ τοὔνομα θάψαντας οὐκ ἐξῆν τοῦ νεκροῦ, πλὴν ἀνδρὸς ἐν πολέμῳ καὶ γυναικὸς τῶν ἱερῶν ἀποθανόντων.

« Il n’était pas permis d’inscrire sur la tombe le nom du défunt, sauf dans le cas d’un homme mort à la guerre ou d’une femme morte en couches. »
(Plutarque, Vie parallèles, Vie de Lycurgue, 27, 3)

Ainsi Euripide rappelle cette difficulté de l’accouchement au travers des paroles qu'il prête à Médée lorsqu'elle s’adresse aux femmes de Corinthe :

λέγουσι δ΄ ἡμᾶς ὡς ἀκίνδυνον βίον
ζῶμεν κατ΄ οἴκους͵ οἳ δὲ μάρνανται δορί·
κακῶς φρονοῦντες· ὡς τρὶς ἂν παρ΄ ἀσπίδα
στῆναι θέλοιμ΄ ἂν μᾶλλον τεκεῖν ἅπαξ.

« On dit de nous que nous menons une vie sans risques à l'intérieur de nos
maisons, tandis que les hommes soutiennent des luttes armées. Quel mauvais raisonnement! (250) Car moi je préférerais combattre trois fois qu'accoucher une seule! »
(Euripide, Médée, v. 248-251)

On comprend bien la difficulté et l’épreuve que consistait l’accouchement dans l’antiquité grecque.

Pour les Grecs, c’est donc principalement au travers de l’enfantement que les femmes apportent leur contribution à la guerre. La fonction de soldat leur est interdite et seules les situations désespérées nécessitent ou contraignent leur intervention.



[1] D’après BERNARD Nadine, A l’épreuve de la guerre, guerre et société dans le monde grec Ve et IVe siècles avant notre ère, éditions Seli Arslan, 2000, p. 34-44.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire